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LA RESPONSABILITE PENALE DES PERSONNES MORALES ET DES DIRIGEANTS DE SOCIETE

La responsabilité pénale des personnes morales[1]

Depuis le 1er mars 1994, les personnes morales (les SA et SARL, par exemple) sont pénalement responsables de toutes les infractions commises par leurs organes ou représentants. Cette responsabilité pénale n’exclut pas celle des personnes physiques (et notamment celle du dirigeant) auteurs ou complices des mêmes faits.

Il n’existe pas de seuil minimal des peines encourues par les personnes morales mais des plafonds et c’est pourquoi le juge peut descendre dans l’échelle des peines. Lorsque la peine encourue est une amende, cette amende peut être quintuplée lorsqu’elle est appliquée à une personne morale.

Les amendes susceptibles d’être infligées à une personne physique ou une personne morale peuvent atteindre des montants très élevés : 75 000 € pour un achat sans facture effectué par un entrepreneur individuel[2], (375 000 € s’il s’agit d’une société), 375 000 € pour une escroquerie (1 875 000 € s’il s’agit d’une société).

Beaucoup de sanctions aux infractions à la législation du travail sont des contraventions et les amendes encourues sont les suivantes (art 131-13 du Code pénal) :

Contraventions

Personnes physiques

Personnes morales

1re classe

38 € au plus

190 € au plus

2e classe

150 € au plus

750 € au plus

3e classe

450 € au plus

2 250 € au plus

4e classe

750 € au plus

3 750 € au plus

5e classe

1 500 € au plus[3]

7 500 € au plus[4]

Pour les contraventions de 5e classe l’amende peut être remplacée par la confiscation de la chose qui a servi ou permis l’infraction et par l’interdiction d’émettre des chèques pendant une durée maximum d’un an.

Pour les infractions considérées comme des délits ou des crimes, les amendes peuvent être beaucoup plus élevées et elles peuvent être accompagnées des peines suivantes :

1. L’interdiction d’exercice (interdiction d’exercer l’activité professionnelle ou sociale concernée par l’infraction ou toute autre activité précisée par la loi).

2. L’interdiction de chéquier.

3. L’exclusion des marchés publics.

4. La fermeture d’un établissement (provisoire ou définitive).

5. Le placement sous contrôle judiciaire (5 ans au plus) et la désignation d’un mandataire de justice.

6. L’interdiction de faire un appel public à l’épargne (5 ans au plus).

7. La confiscation de la chose.

8. L’affichage de la condamnation.

9. La dissolution de la personne morale lorsque la peine encourue par la personne physique responsable de l’infraction est une peine d’emprisonnement supérieure à 3 ans (cas d’escroquerie par exemple).


Parmi les infractions pénales susceptibles de conduire à la condamnation d’une personne physique et d’une personne morale les infractions à la législation du travail sont les plus nombreuses (cf. chapitre 12 de La Création d’entreprise, 15e ed. Dunod, 2013).

Les personnes morales peuvent être également sanctionnées très lourdement pour des délits économiques et notamment pour pratiques anticoncurrentielles (ententes illicites, abus de position dominante, abus de dépendance économique), pour hausses ou baisses de prix artificielles et pour les infractions aux règles régissant la facturation et les conditions générales de vente. À titre d’exemple, deux entreprises qui s’entendent pour provoquer une hausse artificielle de prix peuvent être condamnées aux six premières peines indiquées ci-dessus (interdiction d’exercice, interdiction de chéquier…) ainsi qu’à une amende susceptible d’atteindre 375 000 €. Les dirigeants auteurs de l’infraction peuvent être condamnés aux mêmes peines mais l’amende est plafonnée à 75 000 €.

Les infractions contre les biens peuvent être sanctionnées plus lourdement encore car l’escroquerie, l’abus de confiance, le faux et usage de faux peuvent être sanctionnés par les neuf peines évoquées ainsi que par des amendes susceptibles d’atteindre 3 750 000 € pour l’escroquerie (750 000 € pour les personnes physiques) ou 375 000 € pour un faux commis sur un document administratif (75 000 € pour une personne physique).
 

La responsabilité du dirigeant et l’abus de biens sociaux

La responsabilité d’un dirigeant peut être engagée au plan civil et au plan pénal. La responsabilité civile entraîne l’obligation de réparer le préjudice résultant de l’inexécution d’un contrat (responsabilité contractuelle) ou de la violation du devoir général de ne causer aucun dommage à autrui (responsabilité délictuelle) par son fait personnel, du fait des choses dont on a la garde ou du fait des personnes dont on répond. La responsabilité pénale est une obligation de répondre de ses actes délictueux (atteinte à l’intérêt de la société) en subissant une sanction pénale dans les conditions et selon les formes prescrites par la loi[5].
 
Parmi les principaux délits auxquels un chef d’entreprise est exposé, figurent notamment les atteintes aux personnes et notamment les délits d’entraves à l’activité des représentants du personnel d’une entreprise mais également les atteintes aux obligations d’hygiène et sécurité (cf. Chapitre 12 de La Création d’entreprise, 15e ed. Dunod, 2013).

Parmi les atteintes au patrimoine de la société, citons la corruption, les faux et usages de faux et surtout l’abus de biens sociaux.

L’abus de biens sociaux est punissable d’une peine maximum de 5 ans d’emprisonnement et d’une amende de 375 000 €. Il peut concerner les présidents, directeurs généraux, administrateurs, membres du directoire et du conseil de surveillance d’une SA et les gérants d’une SARL.

Sont punissables ceux qui « de mauvaise foi, auront fait, des biens ou du crédit de la société, un usage qu’ils savaient contraire à l’intérêt de celle-ci, à des fins personnelles ou pour favoriser une autre société ou entreprise dans laquelle ils étaient intéressés directement ou indirectement ».

Le délit est constitué si trois éléments sont réunis : un usage des biens ou du crédit de la société, contraire à l’intérêt social et à des fins personnelles.

Le terme « usage » a été appréhendé d’une manière très large par la jurisprudence. Il englobe, certes, l’appropriation ou la dissipation de l’actif social à des fins d’appropriation (avantages en nature excessifs, utilisation des biens de l’entreprise à des fins personnelles, don de mobilier appartenant à cette entreprise). Il englobe aussi des actes d’administration qui ne sont pas animés d’une intention d’appropriation définitive (prêts de l’entreprise aux dirigeants, avances, baux). Par ailleurs, la Cour de cassation a considéré que la notion d’usage des biens ou du crédit de la société pouvait être étendue à une omission d’agir ou à une abstention volontaire (non-réclamation du paiement d’une livraison à une société dans laquelle le dirigeant incriminé possédait des intérêts).

La notion d’intérêt social a été également élargie par la jurisprudence car si celle-ci considère comme délictueux le fait d’utiliser les liquidités de l’entreprise pour ses dépenses personnelles, elle considère aussi comme répréhensible les actes qui ont fait courir à la société « des risques trop importants (…) sans contrepartie suffisante ou hors de proportion avec ses possibilités réelles ». Dans certains de ses arrêts, la Cour de cassation va même jusqu’à considérer que l’usage des biens d’une société est nécessairement abusif dès lors qu’il est illicite. C’est ainsi qu’a été condamné le versement de commissions pour l’attribution de marchés ou pour l’obtention d’autorisations qui ne portaient pas atteinte à l’intérêt social et qui contribuaient au contraire à la poursuite de l’activité.

La notion d’intérêt personnel a, elle aussi, été appréhendée de manière très large par la jurisprudence. Dans un premier temps cet intérêt personnel était restreint au profit matériel avant d’être élargi à tout avantage moral ou professionnel (préservation de la réputation familiale, professionnelle, développement du réseau de relations personnelles…). La Cour de cassation a ensuite déduit l’existence d’un intérêt personnel de l’absence de justification du caractère social de l’acte incriminé. Dès lors il appartenait au dirigeant de prouver que si un acte n’a pas été accompli dans l’intérêt social de l’entreprise, il n’a tiré de cet acte aucun bénéfice personnel. L’intérêt personnel du dirigeant est d’ailleurs présumé lorsqu’il a prélevé des fonds spéciaux de manière occulte. C’est à lui de justifier que les fonds ont été utilisés dans le seul intérêt de la société.

Le risque est d’autant plus important que le dirigeant ne pourra pas mettre en avant la prescription par 3 ans des délits dans la mesure où la plupart des abus de bien sociaux restent occultes et apparaissent à l’occasion d’un changement de majorité ou d’un dépôt de bilan. La jurisprudence a toutefois fixé des limites au délai de prescription en spécifiant que, sauf dissimulation, cette prescription court à compter de la présentation des comptes annuels dans lesquels des dépenses ont été mises indûment à la charge de la société.

Malgré cette restriction, l’abus de biens sociaux est donc devenu un risque bien réel pour des milliers de dirigeants.[6]

[1] Notons que la responsabilité civile d’une entreprise peut être également recherchée pour une faute commise par un salarié. Si ce dernier n’a pas dépassé les limites de ses fonctions sa faute n’engage pas sa responsabilité civile et seule la responsabilité de l’entreprise peut être recherchée par les tiers.

[2] La même peine peut être infligée au dirigeant comme à la société pour des facturations incomplètes ou imprécises. Une facture doit obligatoirement mentionner : le numéro SIRET du vendeur, son numéro de TVA intracommunautaire, le nom des parties et leur adresse, la date de la vente et la date de règlement, la dénomination des marchandises ou services vendus avec une réelle précision, leur quantité, leur prix unitaire hors TVA, toute réduction de prix acquise à la date de la vente, les conditions d’escompte en cas de paiement anticipé. Bon nombre de condamnations sont prononcées sur le seul motif d’une rédaction insuffisante.

[3] Peut être portée à 3 000 € au plus en cas de récidive lorsque le règlement le prévoit.

[4] Peut être portée à 15 000 € au plus en cas de récidive lorsque le règlement le prévoit.

[5] T. de Montbrial, avocat à la cour.

[6] Notons que sur les 100 premières condamnations prononcées à l’encontre de personnes morales, 35 concernaient le travail clandestin, 19 des blessures involontaires, 13 des facturations irrégulières, 11 des atteintes à l’environnement, 8 des homicides involontaires et 5 des contrefaçons.